Lo Djong
et
la vue sahaja
Commentaire à la pratique de Lo Djong et Sahaja
par Lama Shérab Namdreul
Lo Djong
veut dire « entraînement de l’Intellect »[1]
(sct. buddhi, tib. lo). Cet entraînement consiste à
concevoir correctement la vue bouddhique qui se résume par l’affirmation que
les phénomènes et l’esprit sont vides de nature propre, d’absolu, de réalité,
d’essence etc. Cette vacuité revient à affirmer la relativité de toute
manifestation qui ne peut être défini comme : « ni
existant ni non-existant, ni à la fois existant et non-existant, ni différent à
la fois de l’existence et de la non-existence ».
La conception juste ou vue juste[2]
(cf. le sentier octuple) consiste à avoir une
conception précise de ce que l’on considère comme étant l’Éveil. Elle permet
donc de disposer de l’intelligence nécessaire pour
bien commencer le chemin qui mène à l’Éveil. En s’appuyant sur une conception
juste, la résolution juste[3]
permet de corriger la trajectoire selon les compréhensions et les expériences
rencontrées.
Bien concevoir, bien comprendre
permet à l’Intellect de moduler nos perceptions de soi-même, de l’autre, du
monde et de tous les évènements et situations de la vie, de la maladie, de la
vieillesse et de la mort. Lo Djong permet d’user
d’intelligence en toute circonstance, en cas de malheur comme en cas de
bonheur, en cas d’insatisfaction comme en cas de satisfaction.
La Vue
Sahaja
C’est la Vue où je me sens le plus à
l’aise pour commenter la nature des phénomènes et de l’esprit. Aussi, je propose
cette vue pour tous les enseignements que l’on me demande d’enseigner, que ce
soit samatha, vipassana, tantra, yoga et aujourd’hui
Lo Djong.
Voici en quelques lignes le credo du
sahaja :
Apparence et vide co-émergent.
Connaissance et vide co-émergent.
Au contact d'apparence et connaissance.
Toute expérience est félicité vide.
Le phénomène est vide de nature
propre. L’esprit est vide de nature propre. L’esprit est "penser",
"concevoir", le phénomène est "pensé", "conçu".
De leur synergie esprit/phénomène en vient l’évidence de « se savoir pensant[4] ».
Il n’y a donc pas quelle que chose comme étant de la connaissance ni quelle que
chose comme étant du connu. L’ignorance de la co-émergence esprit/phénomène
fait que nous leur imputons (sct. vikalpa, tib.
nam tok) une nature propre
distincte. C’est aussi stupide que d’imputer une nature propre à l’océan d’un
côté et d’imputer une nature propre à chaque vague. Cette saisie binaire est provoquée
continument par la soif qui ne permet pas de laisser au phénomène (sct. dharma)
le temps de se présenter tel quel (sct. dharmata)
parce que la soif s’auto-régénère sur la peur de sa propre vacuité.
Attention au formule à l’emporte
pièce que l’on trouve dans certaines traductions françaises de Lo Djong où il est dit : « Les phénomènes sont
semblables au rêve » ou encore « Considérez les phénomènes perçus
comme des rêves ». Les phénomènes ne sont pas comme des rêves.
En
quel que bardo que ce soit, le phénomène est un phénomène pensé, conçu, de
nature mentale[5] parce que l’esprit ne peut
que penser, concevoir du fait qu’il n’est aucune altérité réelle qui viennent à
l’esprit se faire connaître.
L’imputation
d’altérité que l’on fait sur les phénomènes se fait de la même façon en
quel que bardo que ce soit : bardo de l’état de veille, bardo du rêve, bardo
post mortem etc. Cependant, il est vrai que l’expérience du rêve est plus révélatrice
de la méprise que l’on se fait sur les phénomènes. Alors que nous sommes en
train de rêver nous prenons pour réel le phénomène d’un feu qui brûle puis, une
fois réveillé, il est facile de comprendre ce qu’on entend par l’illusion de
notre imputation. L’intérêt du yoga du rêve c’est que l’on puisse plus facilement être témoin de
la manifestation du phénomène comme étant endogène à la faculté même de penser,
de concevoir que l’on nomme "esprit". Une fois expérimenté cela en rêve il est bénéfique de poursuivre l'expérience dans le bardo de l'enstase (sct.dhyana,tib. sam tèn). Le plus
difficile c’est de reproduire l’expérience faite en yoga du rêve dans le bardo de l’état de veille.
Écoute,
réflexion et méditation
La conception juste est donc
indispensable à la réalisation de la nature ultime des phénomènes et de
l’esprit. Bien entendu, comme dans toute tradition philosophique, il ne s’agit
pas d’adhérer à la vue bouddhique et de se contenter d’y croire. Il est nécessaire
de s’appliquer aux trois entraînements : écoute, réflexion et méditation.
Les trois
applications que sont l’écoute, la réflexion et la méditation sont
indispensables à tout entraînement et aboutissent chacune à une sagesse et une
confiance.
L’application
à l’écoute consiste à demander le sens d’un
mot quand celui-ci n’a pas été précisé par l’enseignant. Cette application
répond à la première des quatre garanties (tib. teun pa chi) énoncées par le Bouddha Shakyamouni[6].
La sagesse qui résulte de l’écoute juste et vigilante permet de ne pas se
laisser séduire par les mots seuls avec de belles tournures et par des
définitions mirobolantes. Cette sagesse s’accompagne d’une confiance en soi
parce que l’on peut se fier à son écoute.
L’application
à la réflexion consiste à raisonner et analyser le
sens de l’enseignement pour en avoir une conviction personnelle. Cette
application répond à la deuxième des quatre garanties et c’est d’ailleurs un
des engagements pris lors de la cérémonie du refuge auprès d’un Lama. La
sagesse qui résulte de la réflexion juste permet de ne rien projeter en la
personne qui enseigne et d’éviter la fascination, l’idéalisation et le culte de
la personne. Cette sagesse s’accompagne de l’assurance de penser par soi-même.
L’application
à la méditation consiste à vérifier ce qui
nous ait enseigné pour en avoir une expérience valide. Cette application répond
à la troisième des quatre garanties. La sagesse qui résulte de la méditation
juste permet de se libérer aussi bien de la croyance que de l’incertitude. Cette
sagesse s’accompagne de l’assurance de s’épanouir sur un chemin d’émancipation
et de pouvoir soi-même être un guide expérimenté pour autrui.
La méditation constitue la phase spécifique
d’entraînement de l’esprit (tib. sèm djong) qui consiste à délivrer (sct. vimukti)
l’esprit des illusions produites par les trois facteurs perturbateurs :
l’ignorance, la soif discriminative et la saisie imputative.
Sèm Djong
La
compréhension bien qu’indispensable à la méditation, n’est pas suffisante. La
compréhension permet de bien envisager l’objectif de la méditation et de
consacrer précisément notre contemplation sur la nature des phénomènes et de
l’esprit. La méditation permet de passer d’une compréhension intellectuelle
fiable à des expériences valides et donc propices à délivrer, dans un premier
temps, l’esprit de la saisie imputative. Puis en affinant cet entraînement de
l’esprit viennent les réalisations qui nous amène à se soustraire de la soif
discriminative et finalement à dissiper radicalement l’ignorance et reconnaître
la nature co-émergente du mandala esprit/phénomène. La sagesse qui s’ensuit
répond à la quatrième des quatre garanties.
Lo Djong
Les sept points essentiels
à Lo Djong
Les points essentiels se
présentent par paire : un principe et une application.
I.
Renoncement et les quatre idées fondamentales
1)
Renoncement[7]
Diriger la réflexion et l’analyse
sur les insatisfactions et contrariétés face à la vie, la vieillesse, la
maladie, la mort etc.
Comprenant avec certitude que tout
le mal-être existentiel (sct. doukha) est dû aux trois facteurs perturbateurs
(ignorance, soif et saisie) on vient à générer une forte résolution (sct. samkalpa) pour "se
sortir" des illusions que provoquent ces trois facteurs.
Il est important de vérifier
l’objet de notre renoncement. Considérer l’incarnation sur terre, le corps
physique ou encore la famille, la femme, l’homme etc. comme étant la cause de
doukha est une erreur. Faire l’erreur de prendre pour cause de doukha autre
chose que les trois facteurs perturbateurs et leurs illusions, n’engendre que renonciation,
privation, reniement et finalement frustration.
Si c’est le cas, il est
nécessaire de reprendre notre réflexion sur les deux premières des quatre vérités des Nobles (sct. catvāri āryasatyāni) pour
en avoir une compréhension juste.
Ce renoncement est la base de
toute pratique que l’on ait choisi une vie laïque ou monastique.
2)
Les quatre idées fondamentales
Ayant constaté doukha,
méditer les quatre idées fondamentales pour inciter le renoncement à nos
illusions, nos vanités et nos futilités et engendrer une aspiration déterminée
à l’Éveil.
1) La précieuse condition
humaine : 2) La nature transitoire et la mort : 3) Le processus
causal mental, le karma : 4) La défectuosité d’une existence
conditionnée par l’illusion (samsara).
Un renoncement judicieux
engendre la nécessité d’une aspiration et du refuge. Savoir à quoi dire
« non » amène à savoir à quoi dire « oui ». Dire
« non » à l’illusion c’est dire « oui » à la désillusion,
l’éveil.
II.
Aspiration et refuge aux trois Joyaux
1)
Aspiration
L’aspiration à l’Éveil ne
peut être envisagée sans une éthique élémentaire avec la certitude que rien ne peut
et ne doit nous justifier de nuire à qui que ce soit ainsi qu’à soi-même.
Notre aspiration spirituelle
doit répondre à trois questions : 1) vers quoi tendre (tib. tchi) comme étant (tib. sou) un véritable refuge (tib. kyab) contre la
souffrance ? ; 2) avec quoi y arriver comme étant une véritable
méthode contre l’illusion ? ; 3) auprès de qui trouver un véritable
appui ? La réponse s’appelle les Trois Joyaux. Personnellement, je les
appelle les trois Cadeaux parce que c'est une véritable chance de les avoir à notre disposition : 1) la
bouddhéité, la nature primordiale et atemporelle de l’esprit ; 2) le
dharma, l’enseignement qui expose la nature ultime des phénomènes ; 3) la
sangha[8],
ceux qui, par compréhension, expérience ou réalisation, savent ce qui est
vertueux, propice et efficace à l’Éveil.
2)
Refuge aux trois Joyaux
réciter
J'aspire
à l'Éveil pour seul Refuge contre la souffrance.
J'applique
le Dharma pour seul recours contre l’illusion.
J'estime
la Sangha pour seuls amis sur le chemin.
Et le bien
des êtres pour seul désir en toutes mes renaissances // (x3)
III.
Motivation et Bodhicitta
1) Motivation
La motivation trouve sa force
dans l’empathie et la compréhension. Notre motivation spirituelle doit
s’interroger : « pour quoi et pour qui s’éveiller à la nature de
l’esprit ? ». Pour quoi s’éveiller ? Pour être capable d’aider. Pour
qui ? Les autres.
Pour cela, il est nécessaire
de commencer par pouvoir s’aider soi-même pour n’être pas un aveugle prétendant
guider d’autres aveugles. Ainsi, notre aspiration et notre motivation se
conjuguent pour engendrer une forte résolution (sct. samkalpa) à l’Éveil afin d’être en
capacité d’apporter une aide aux autres. C’est ainsi que l’Éveil complet de
l’esprit se caractérise par les deux bienfaits,
celui de soi-même et celui d’autrui.
Les deux bienfaits
La nature de mon esprit (sct. citta) est bodhi (bouddhéité). Bodhicitta est co-émergence (sct. sahaja) de vacuité/bienfaisance [9]. Dans le Mahavairocana tantra, la Bodhicitta est considérée comme étant la graine primordiale dont dispose tous les êtres sans exception. Sa nature bienfaisante (karuna/sakti) déploie ses bienfaits. En con-vergeant (sct. sam) aspiration et motivation notre résolution (sct. sam-kalpa) se trouvera con-forme (sam-aya) à la co-émergence vacuité/bienfaisance de la Bodhicitta et aboutira aux deux bienfaits.
1. Le bienfait pour soi-même
L'esprit est vide de nature propre. Il n'y a pas quelque chose comme étant un esprit. Le terme "esprit" désigne la faculté cognitive. La réalisation de cette vacuité de nature propre délivre (sct. vimukti) la cognition de toutes les illusions dues aux trois facteurs perturbateurs ce qui conjointement actualise l'Éveil en cinq Intelligences fonctionnant sans plus aucune obstruction ni distorsion (sct. klésha) ni contrariété (sct. doukha) en toute aisance/félicité (sct. soukha). Cette aisance/félicité est le bienfait pour soi-même.
2. Le bienfait pour autrui
S'étant libéré de ses propres illusions, on dispose à l'égard d'autrui d'une empathie savante qui détermine le lien de cause à effet entre une l'illusion et son mal-être. Cette empathie savante constitue ce qu'on appelle "upaya". Il y a l'upaya du chemin de Bodhisattva qui offre une habileté à proposer à l'autre les moyens de se désillusionner. Il y a aussi l'upaya du fruit que je nomme "effiscience". Cet upaya du fruit, spécifique au plein éveil de Bouddha, offre la sagesse des effets salvateurs dans les arcanes karmiques d'autrui sur du très long terme. Ces deux upayas n'ont cependant pas le pouvoir d'infaillibilité. L'Éveil reste l'affaire de chacun parce qu'il dépend de nous de mettre en place les conditions favorables et de se donner les moyens de pratiquer.
2) Bodhicitta
Pour se placer sous l’inspiration
du Lignage naturelle des Éveillés des trois temps, je me dois de développer toutes
les conditions vertueuses qui permettent d’entrevoir et de mettre en œuvre
cette Bodhicitta comme par exemple l’empathie, la compréhension et
l’indulgence.
Développement de la compréhension et de l’empathie
réciter
Le samsara est un malencontreux
malentendu. Les êtres, malhabiles à en trouver la cause, engendrent maladresses
et malheurs. Tous pourtant sont en quête de bonheur, mais ne réalisant pas la
précieuse existence humaine, ils se contentent de satisfactions et
compensations. Tous aiment se voir aimer et être aimés, mais n'envisageant pas
l'impermanence et la mort, ils se limitent aux désirs et attachements. Tous
sont pleins d'entrain au bonheur, mais refusant de voir la vanité du samsara,
ils placent tous leurs espoirs dans des futilités. Tous se sentent un droit à
la liberté, mais sans aucune conscience de la causalité, ils se complaisent
dans leur égoïsme étroit. Tous détestent se voir détestés, mais sans vouloir
comprendre l'autre, ils restent blessés et blessent à leur tour. Tous réclament
de l'estime, mais soucieux de se comparer, ils se valorisent au mépris de
l'autre. Tous se veulent authentiques, mais incapables de se réjouir, ils se
glorifient en médisant sur l'autre. Tous recherchent la paix, mais se refusant
d'assumer la réalité, ils se réfugient dans la léthargie.
méditer un instant
Éviter la condescendance et le découragement
réciter
Ces êtres dits ordinaires sont mes
guides. Leur bonté est plus valeureuse que celle des êtres nirvanés.
Déceler dans leurs faits et gestes ne serait-ce qu'une once de Bodhicitta,
illumine le cœur pour l'éternité.
méditer un instant
Générer l’aspiration du bodhicharya
réciter
Aujourd'hui connaissant le Dharma,
je dois générer cette Bodhicitta des fils de Bouddhas et m'éveiller pour
montrer aux êtres l'illusion qui cause leurs souffrances.
méditer un instant
Restaurer les engagements
réciter les quatre pensées
incommensurables
Puissent les êtres trouver
l'intelligence au bonheur et reconnaître l'illusion qui cause la souffrance.
Puissent-ils se placer en la
félicité inhérente et garder l'impartialité en toutes circonstances. (x3)
Engagement du bodhisattva
réciter
Tous les êtres innombrables qui
vivent en tous les univers m'ont tous prodigué soin, protection et bonté comme
une mère pour son enfant. Je ressens aujourd'hui une sincère gratitude d'autant
que je suis conscient des conséquences des illusions et perturbations qui
recouvrent la nature de l'esprit. Ici même, en cet instant même, moi-même (se
nommer), prenant pour témoin les bouddhas et bodhisattvas, le lama et mes
frères et sœurs vajra, je prends pour résolution que toute mon activité se
fasse en connaissance de cela.
méditer un instant puis
réciter
Ici même, en cet instant même,
Je me dois de m'éveiller pour aider les êtres.
Je me dois de m'éveiller si je prétends aider les êtres.
Je me dois de m'éveiller si je prétends aimer les êtres. (x3)
IV. Bienfaisance et Sugatagarbha
Je dédie cette pratique à ceux qui ne se
pensent pas irréprochables et qui ne sont pas à l’affût des défauts des autres.
Le commentaire de cette partie étant assez
long, il est ici résumé dans le cadre de la sadhana. Voir
la forme extensive du commentaire et de la pratique.
1) Bienfaisance
Ultimement, samsara et nirvana sont vides de nature propre mais tous deux se distinguent par leur manifestation respective : doukha et soukha. Leur manifestation étant symptomatique, elle permet de diagnostiquer si la condition psychique se trouve illusionnée ou éveillée puis de mettre en place des conditions vertueuses à la lucidité.
La bodhicitta étant une co-émergence de vacuité/bienfaisance et la science étant un mode cognitif sans autre finalité ni partialité, cette co-émergence intègre sa propre médication que j’attribue à sugata au sens de « destiner (sct. gati) à l’aisance/félicité sct. soukha). En quelle que sorte, Sugata est l’ordonnance inscrite en la bodhi de l’esprit qui répond de sa justesse par la seule exécution de son mode cognitif conforme à la « bodhicitta », co-émergence de vacuité/bienfaisance.
Dire « l'esprit est bodhi » est synonyme d’une science en « bonne santé » ce qui fait que la bienfaisance de sugata est de nature transcendante opérant sans partialité et sans condition, que l'esprit soit illusionné (samsara) ou désillusionné (nirvana). Ce qui rend difficile voire impossible de comprendre le parcours qu’empreinte la bienfaisance de l’esprit au risque de dire : « les voies de l’esprit sont impénétrables ». Autrement dit : le karma est tout autant injustement juste que justement injuste parce qu’il est guidé par l’insondable bienfaisance de sugata.
Ne pouvant être incohérente à elle-même et faisant partie intégrante de la nature de bodhicitta, la bienfaisance de sugata n'a jamais pu être dévoyée, ne peut pas être dévoyée et ne pourra jamais être dévoyée.
2) Sugatagarbha
1. Pratique
La pratique de Lo Djong consiste à reconnaître la bienfaisance de "sugata" en la Vue du Lama racine et d’en tirer les enseignements pour s’éveiller. Cette pratique réclame toute notre sincérité et notre authenticité et nous n’imaginons pas toujours le courage dont nous sommes capable pour visiter le tréfonds de notre cœur.
Cette pratique peut se faire à tout moment de la journée mais tout particulièrement au moment de se coucher le soir. Le corps est en « posture du cadavre » allongé sur le dos, dans une pièce sombre ou très peu éclairée. Les mains sont simplement posées sur la poitrine à hauteur du chakra du cœur à l’image d’un gisant. Gardez-les yeux ouverts ou mis clos ou bien laissez à leur guise vos paupières. En tout cas ne fermez pas les yeux si c’est pour vous convaincre d’être "intérieur" parce que votre corps restera un référentiel cognitif. La dite « posture du cadavre » consiste à mettre le corps en vacance de nos identifications. En toute confiance, on laisse le corps « faire ce qu’il sait faire » c’est-à-dire « être un corps » de sorte qu’on le confie à sa propre physio-logique.
Selon notre ressenti du moment nous pouvons opter pour “l’aptitude du Joyau” ou l’aptitude du Pourba”.
1) Attitude du
Joyau
Joindre les mains non pas dans une attitude de « suppliant » mais dans l’attitude de celui qui prend en main sa nature de bodhicitta faisant montre aux éveillés notre assumance d’aller au cœur du cœur de notre cœur quoi qu’il en coûte la nature du sugata qui préside à toutes les aspirations.
2) Attitude du
Pourba
Les index et les pouces sont joints tandis que les autres doigts s’entrecroisent. Les mains se posent au cœur avec les deux index dressés.
L’attitude Pourba peut convenir si l’on ressent le besoin d’aller plus avant au tréfonds du cœur de bodhi (sct. hridaya bodhi) sans aucun compromis. Cette attitude intransigeante est capable de pourfendre le roudra du Dharma ce « démon » au visage d’ange et aux allures dévotes.
L'acuité du Pourba (sct. Kila) tranche en le non-né l'illusion des trois temps (sct. trikalpa) pour révéler l'instantanéité des Trois Corps (sct. Trikaya) représentés par les trois faces du pourba.
En allant droit au cœur, cette attitude est particulièrement efficace pour dissiper en cette vie-même les lourds voiles du trikalpa et obtenir les six non-craintes.
2. Conscience sensitive
L’idée majeure est de rester détendu et naturel et ne rien simuler. Pour cela, on détend l’esprit en restant sans espoir/crainte. On laisse au corps le soin de respirer sans intervenir et on développe une conscience sensitive vigilante de la respiration tout en prenant le cœur comme notre objet de concentration de sorte que l’on ait l’impression que la respiration vient au cœur et repart du cœur.
On reste vigilant et si vient une distraction mentale on rappelle (sct. smriti, tib. drèn-pa) l’objet de notre méditation à l’esprit sans rien brusquer.
3. Conscience évocatrice
On développe une attitude de sincérité. On évoque le sentiment qu’à cet endroit du cœur se trouve toute la sincérité la plus intime de nous-même, cette sincérité de notre être fondamentale au-delà de toute stratégie, au-delà de toutes les peurs, au-delà de toute imputation. On génère une forte résolution (sct. samkalpa) de contacter cette pure sincérité d’esprit quoi qu’il en coûte. On évoque que c’est l’endroit même où se dévoilent tous les subterfuges de notre égocentrisme et que l’on s’approche de plus en plus près de notre sincérité naturelle qui ne demande qu’à émerger du cœur.
4. Conjonction
La concentration consiste maintenant à conjoindre (tib. zoung djouk) notre sensitivité et l’évocation : sensitivité à la respiration au cœur et l’évocation du cœur comme étant le siège de la sincérité fondamentale. La conjonction sensitivité / évocation permet à l’esprit de pénétrer progressivement et plus subtilement au centre du centre du cœur.
5. Conscience contemplative
Ce chakra-cœur est le centre privilégié d’une lucidité rédemptrice qui ne se dérobe pas et ne laisse rien passer à l’oubliette. Le karma ne retient rien de nos actes mais ne les efface pas pour autant de notre mémoire. Le karma n’est pas dupe et s’en tient à ce que l’on pense de nos actes. Toutes les fautes et les erreurs auxquelles on fait face dans cette contemplation sont d’autant mieux assumées que l’on gagne en indulgence et en compréhension de l’autre.
Cette sincérité primordiale ne livre aucun combat, que ce soit contre soi-même ou autrui. Elle ne conçoit ni victoire ni défaite. Elle est apaisement et bienveillance.
Génération : Le corps dans « la posture du cadavre » et les mains posées sur la chakra du cœur, je génère une forte résolution pour conjuguer les trois consciences sensitive, évocatrice et contemplation et me décide d’aller (sct. gata) au cœur du cœur de mon cœur là où il n’est plus possible de s’esquiver. Je vais, sans l’idée d’un combat, au devant des parts d’ombre dont je fus protégé jusque-là. Il est « grand temps » (sct. mahakala) de voir pour voir, entendre pour entendre et penser pour penser.
Méditer autant que possible.
Chant de stimulation : Houng ! Détenteur du Sugatagarbha / sans plus aucune équivoque possible. / Assumant le samaya-mudrā / le Roudra s’libère de ses malices. / Les huit charniers effrayants déploient / les dépouilles sublimées de nos peurs. / Ainsi les démons qu’on dit obscurs / sont les guides et témoins de la voie. / Il me faut trouver les tripes du cœur, / l’abîme numineux est mon Refuge. / Corps de nuit dans la nuit qui traverse / toutes les mémoires jusqu’à la moelle. / Il est temps de me réconcilier / en visitant le charnier des ombres. / Avec poignard, cœur et pierre de vie, / je transperce la vacance d’un non-temps, / l’opportunité d’un abandon / préservé de l’insidieux Roudra. / D’être honnête et simple me suffit, / la seule faute étant de ne rien faire / pour déjouer l’illusion de la soif / et révéler la beauté du cœur. Méditer autant que possible.
6. Phase de génération
Réciter :
Le corps dans « la posture
du cadavre » et les mains posées sur la chakra du cœur, je génère une
forte résolution pour conjuguer les trois consciences (sensitive, évocatrice et
contemplation) et me décide d’aller (sct. gata) au
cœur du cœur de mon cœur là où il n’est plus possible de s’esquiver.
Dans l’attitude du Joyau ou du Pourba, je vais, sans l’idée
d’un combat, au devant des parts d’ombre dont je fus protégé jusque-là. Il est
« grand temps » (sct. mahakala) de voir
pour voir, entendre pour entendre et penser pour penser.
Méditer
autant que possible :
Chant se
stimulation :
Houng ! Détenteur du Sugatagarbha / sans plus aucune
équivoque possible. / Assumant le samaya-mudrā / le
Roudra s’libère de ses malices. / Les huit
charniers effrayants déploient / les dépouilles
sublimées de nos peurs. / Ainsi les démons qu’on dit obscurs / sont les
guides et témoins de la voie. / Il me faut trouver les tripes du cœur, /
l’abîme numineux est mon Refuge. / Corps de nuit dans la nuit qui traverse
/ toutes les mémoires jusqu’à la
moelle. / Il est temps de me
réconcilier / en visitant le charnier des ombres. / Avec poignard,
cœur et pierre de vie, / je transperce la vacance d’un non-temps, /
l’opportunité d’un abandon / préservé de
l’insidieux Roudra. / D’être honnête
et simple me suffit, / la seule faute
étant de ne rien faire / pour déjouer l’illusion de la soif / et révéler la
beauté du cœur.
V. Potentialité et Tathagatagarbha
1) Potentialité
Traditionnellement,
l'idée de potentiel est illustrée par deux exemples : celui du beurre qui est
potentiel au lait et celui de la pépite d'or emprisonnée dans sa gangue. Dans
l'exemple du beurre, il s'agit d'un potentiel en puissance qui demande une
méthodologie pour effectuer une transformation du lait en beurre. On introduit
une cause qui conduit à un effet. Pour avoir le beurre, il faut baratter. Pour
actualiser notre nature potentielle, il est nécessaire d'établir les causes
d'une transformation. Cette conception du potentiel est compatibles avec les
méthodes de ce qu'on appelle le Véhicule causal (par ex. le Soutrayana,
le Paramitayana…).
Dans
l'exemple de la pépite d'or, il s'agit d'un potentiel immaculé mais qui se
trouve « en veille » comme peut l'être un ordinateur dont les
fonctions seraient en stand by. Dans l’exemple de la pépite, l’or, bien
qu'enfermé dans sa gangue, reste pur mais il reste cependant inutilisable,
inexploitable. Cette conception de la Bodhicitta introduit une Vue pure, dénuée
de discrimination, qui conduit à la reconnaissance directe de la nature
primordiale et immaculée de l’esprit. Pour avoir l'or, il suffit de l'extraire
de sa gangue. Il n'y a pas lieu de le transformer. L'éveil à la nature de
l’esprit veut dire s'extraire (préfixe é) de l'état de "veille". Les
voiles ne sont que des voiles sans autre effet que de recouvrir cette nature primordiale
sans la souiller pour autant. Cette conception du potentiel est compatible avec
les principes du Véhicule du fruit (par ex. le Tantrayana, le Mantrayana…) qui considère la sagesse comme seule méthode.
2) Tathagatagarbha
Il est indispensable d'avoir la certitude de notre nature potentielle de bouddha et comprendre qu’il n’est pas de
bouddha ailleurs qu’en l’esprit. Pour cela nous méditons le Tathagatagarbha.
Traditionnellement nous
visualisons le Tathagatagarbha sous l’aspect iconographique de Shakyamouni.
Cette méditation se fait en
quatre phases : 1) hommage (kyé rim) ; 2) onction (sct. abhisheka) ; 3)
intégration ; 4) complétude (dzok rim).
La seule perspective du Tathagata comme fondement de notre
nature spirituelle apporte un véritable sens à l’existence et une perspective pour nos vies futures. Un sens capable de
remédier à la vanité de l’existence conditionnée par les trois facteurs
perturbateurs.
VI. Altruisme et Tong lèn
1) Altruisme
Après avoir médité le
Tathagatagarbha, il est naturel d’envisager que l’esprit (citta) de tous les
êtres sans exception soit bodhi. Réalisant que des êtres, ignorant leur
potentialité, créent eux-mêmes les conditions d’une existence erratique, nous
développons de l’empathie à leur égard et la compréhension que leurs actes sont
dictés par l’illusion.
Alors que la nature même de
l’esprit (citta) en son propre Éveil (bodhi) est sagesse (prajna),
bienfaisance (karuna) et capacité (upaya) quel dommage que les êtres, sous l’influence de
l’ignorance et de l’illusion, cherchent désespérément un bonheur ailleurs qu’en
leur propre cœur (hṛidya).
Sur cette base, nous pratiquons
Tong Lèn, le yoga de la transmutation.
2) Tong Lèn
« Lèn »
consiste à prendre en considération ce que les êtres éprouvent comme souffrance, inquiétude,
tourments etc. Il ne s’agit pas pour autant d’en pâtir soi-même. Il s’agit plus
exactement d’empathie plutôt que de compassion au sens littéral.
Lors
de l’inspiration, on procède au yoga du souffle supérieur (tib. tèng loung) sous l’aspect d’une
lumière noire prenant le chemin supérieur de la sagesse[10] jusqu’à
son parachèvement (tib. dzok rim)
au cœur, se délivrant ainsi de toute imputation illusoire. Se révèle alors la
co-émergence de clarté/vide sous l’aspect d’une luminosité blanche[11].
« Tong »
consiste à distribuer toute la transmutation qui vient de s’opérer au cœur.
Lors de l’expiration, on procède au yoga du souffle inférieur (tib. og loung) sous l’aspect d’une
lumière blanche. C’est le souffle de l’aspiration[12]
(tib. meun) sans plus aucune entrave, partant des
tripes et passant par notre cœur (hṛidya) pour s’élever en le chemin (tib. lam)
supérieur de la méthode[13]
et se rendre disponible à tous les êtres.
Au moment de distribuer (tong),
on met à disposition des êtres la vue qui considère doukha comme le symptôme de
l’illusion. La luminosité blanche n’est pas un baume qui efface la souffrance
existentielle. Si les bouddhas pouvaient dissiper nos souffrances, ils
l’auraient déjà fait. Cette luminosité blanche qui émerge du Cœur de Bodhi[14]
(sct. hṛdayabodhi) illustre l’efficacité (sct. upaya) de l’intelligence qui considère l’ignorance, la soif
et la saisie comme étant les seules causes de doukha.
Le yoga de Tong Lèn consiste en quelque sorte à prendre tous les déchets
plastiques dont les êtres veulent se débarasser puis
de le faire passer par l’incinérateur du Cœur de bodhi et une fois recyclés les
distribuer sous forme de pull-over.
À la fin d’un enseignement sur
Tong Lèn, une femme qui avait été carmélite me dit
qu’elle venait de comprendre le Christ ayant dit : « donnez-moi vos
peines, elles me seront légères[15] ».
C’est le sens même de Tong Lèn.
Générer une grande compassion envers tous les êtres puis faire la méditation de Tong Lèn quelque temps.
Réciter ou chanter :
J’assume de voir les souffrances, les peurs,
Les voiles qui obscurcissent l'esprit des êtres.
Je partage la vue qui désillusionne.
Puissent-ils goûter la quiétude de la sagesse !
Ah LA LA !
VII. L’attitude juste et souhaits
Il y a de nombreuses situations
pouvant entraîner des blessures et engendrer de la malveillance : dispute,
discorde, conflit, rupture etc. Il ne faudrait pas imaginer que notre pratique
du Dharma nous permettrait d’éviter de telles situations et toute motivation de
cet ordre serait une erreur. En souhaitant éviter des situations particulières
cela reviendrait à décider d’éviter des individus jugés comme personna non grata. Ce qui est totalement contraire à
l’attitude du Bodhisattva.
Nous devrions examiner constamment
nos motivations et déceler celles impropres à la Vue mahayana.
La pratique de Lo Djong nous prépare à toute rencontre et en toute situation
sans discrimination préalable. Elle nous permet de répondre au mieux à tous les
scénarios possibles que nous proposent la vie, la
maladie, la vieillesse et la mort.
Il est coutume de dire que tous
les êtres aspirent au bonheur mais les conceptions de bonheur sont diverses et
multiples parce qu’elles restent subjectives. Il y a des conceptions de bonheur
idylliques, des conceptions hédoniques, inhibitrices, égotiques, sadiques,
masochistes, mégalomaniaques etc.
Dans la confusion de l’esprit, nos conceptions de bonheur se font immanquablement au détriment de soi ou de l’autre et s’avèrent à long terme inefficaces parce qu’elles procèdentprincipalement de deux vues erronées.
1. Celle d’appréhender l’individu (sct. pudgala, tib. gang zak) comme étant une identité intrinsèque et définitive qui transmigrerait par "saut de puce" de vie en vie, de bardo en bardo, de situation en situation.
2. Celle de penser qu’il y a quelque chose comme étant du bonheur. Cette idée d’un bonheur absolu à atteindre se retrouve de plus en plus dans le prêche bouddhique ambiant qui participe à ce que les médias appellent aujourd’hui « le business du bonheur » avec son markéting séducteur et l’ambition de toucher toujours plus de monde. Il ne s’agit pas de faire un procès d’intention mais de s’interroger sur le risque de se contenter d’être content. Ces deux vues erronées produisent l’illusion que notre personne pourrait expérimenter soit une condition psychique définitive de bonheur, soit se trouver dans un lieu ou une situation ayant le pouvoir de faire expérimenter le bonheur absolu.
Malheureusement, il n’est pas
de bonheur absolu comme il n’est pas de malheur absolu. Les désillusions
qu’entraîne la pratique du Dharma et en l’occurrence Lo Djong
nous permet d’user d’intelligence en toute circonstance, en cas de malheur
comme en cas de bonheur, en cas d’insatisfaction comme en cas de satisfaction.
Cette "effiscience"[16]
(sct. upaya), qui est le fruit spécifique de l’Éveil,
se caractérise par l’accomplissement des deux
bienfaits, celui de soi-même et celui d’autrui. La nature de l’esprit étant
ce qu’elle est, cette "effiscience" n’est
pas infaillible et nécessite d'user continument de raison et d’intelligence.
1) L’attitude juste envers autrui
Envers quelqu’un pour qui l’on conçoit de l’antipathie
Essayer de rester factuel et de
s’en tenir aux actes et aux dires que l’on est en droit de juger d’être
désagréables, blessants, agressifs etc. et c’est tout à fait légitime de
refuser d’être agressé. Lo Djong nous permet
justement de discerner entre refus et répulsion
puis de réfréner toute aversion qui nous justifierait de nuire en retour.
Il est possible de juger avec compréhension sans qu’il soit nécessaire
de faire un procès d’intention et d’aboutir à une punition. Il n’y a pas de
faute à juger d’un acte négatif mais il faut être prudent et vigilant dans les
conséquences karmiques avant de s’octroyer le droit d’énoncer une sentence et
d’appliquer une sanction envers la personne.
Envers quelqu’un pour qui l’on conçoit de la
sympathie
Essayer de rester factuel et de
s’en tenir aux actes et aux dires que l’on est en droit de juger d’être
agréables, réconfortants, bienveillants etc. et c’est tout à fait légitime
d’être attiré par ce qui nous agrée. Lo Djong nous
permet de discerner entre attirance et désir
puis de réfréner tout attachement qui consiste à donner à l’objet de désir le
soin, le devoir ou la responsabilité de me rendre heureux en comblant mon
manque.
Il est possible d’aimer sans condition c’est-à-dire sans qu’il y ait
lieu de s’octroyer un droit sur l’autre en échange de récompenses. Là aussi il
faut rester prudent et vigilant dans les conséquences karmiques lorsque l’on
accorde notre confiance alors qu’il s’agit d’un avertissement à toute
déception.
Compréhension et communication
Voici quelques préceptes qui me tiennent à cœur et que j’essaie au mieux de m'y appliquer.
N’avoir de cesse de communiquer
pour comprendre l’autre.
Toujours laisser une opportunité
à l’autre de s’expliquer et de se faire comprendre.
C’est aussi respecter autrui que
de chercher à se faire comprendre de l’autre et ne pas le laisser sur une
mauvaise image de soi que celle-ci soit fondée ou pas.
Ne pas opter l’indifférence
ou le mépris envers celui qui nous témoigne de l’animosité. Qu'elles nous fâchent ou pas les émotions d'autrui sont dignes de considération.
Comprendre que l’on puisse ne pas
nous apprécier. On ne peut ni plaire ni déplaire à tout le monde.
Les préceptes de Lo Djong sont nombreux et leurs commentaires divers. Quel que soit le précepte à appliquer, ce ne sont pas des recettes au bonheur. Il sera toujours nécessaire de faire usage de la raison et de l’analyse car aucun sentiment ni aucune situation ne se répète. Nous devons garder la possibilité d’initiative personnelle avec un sens précis de la responsabilité, tout particulièrement dans des situations extrêmement délicates où l’on doit faire face à un dilemme moral et que d’avoir "la réponse toute faite" serait un outrage à la conscience.
2) Souhaits du tcheupa
réciter :
S’il se trouve
que quelqu’un éprouve colère, jalousie ou mépris à mon égard, que cela même le
conduise à l’Éveil. S’il se trouve que quelqu’un éprouve désir, idéal ou charme
à mon égard, que cela même le conduise à l’Éveil. S’il se trouve que quelqu’un
éprouve ignorance, dédain ou indifférence à mon égard, que cela même le
conduise à l’Éveil. S’il se trouve distorsion, affect ou discrimination en qui
que ce soit, que cela se révèle en leur co-émergence de vacuité compassion.
S’il se trouve un samsara, que cela soit le prétexte à stimuler la Bodhicitta.
S’il se trouve un nirvana, que cela soit la raison d’exaucer la Bodhicitta.
N’être plus l’instrument de la soif est Liberté. N’être plus fatigué d’éviter
la vacuité est Vacance. N’être plus juge de l’autre est Compassion. Puissent ceux de mauvaise volonté reconnaître, en l'immédiateté intransigeante, l'immuable nature immaculée Vajrasattva.
méditer un instant
VIII. Conclusion et parachèvement
1) Conclusion
Ainsi ce n’est pas la naissance
qui cause doukha, ce ne sont pas non plus la maladie ni la vieillesse ni la
mort qui cause doukha. Il n’y a pas lieu d’être sauvé de la vieillesse, de la
maladie ou de la mort mais de "se sortir"cf. 7 de nos illusions. Ce sont les illusions dues à l’ignorance, la soif
discriminative et la saisie imputative qui causent doukha. Les illusions que
l’on se fait de la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort ont pour
symptôme doukha. Doukha nous informe que nous sommes illusionnés de la même
manière qu’un mal de dent nous permet d’envisager qu’il y a une carie. En
attendant d’être éveillé, doukha participe de la bienfaisance omni fonctionnelle de l’esprit qui est
Bodhicitta, co-émergence de vacuité/empathie/capacité.
La conception juste et
précise issue de la pratique de Tong Lèn
permet de mieux être à l’écoute de cette bienfaisance
inhérente de l’esprit.
2) Parachèvement (dzok rim)
L’extinction des imputations
(sct. nirvikalpa) et l’extinction de la soif (sct.
nirvana) fait qu’il y a cessation de doukha mais la cessation de doukha n'a pas lieu de faire disparaître la naissance, la vieillesse, la maladie et la mort qui sont des
manifestations propres à la condition biologique de notre corps et il n'a pas de meilleurs condition que la nature humaine pour accomplir le bien d'autrui. Moi (se nommer), Bodhisattava ayant la compréhension de la Bodhicitta et de ce qu'elle implique, j'assumerai cette existence et toutes les autres à venir sous toutes les formes possibles dans la seule motivation de me rendre disponible aux biens des êtres sans exeption.
Libre de tout espoir/crainte, demeurer en la co-émergence manifestation/vide.
[1] Le terme intelligence est emprunté au latin intellĕgentĭa, lui-même dérivé du latin intellĕgō (« discerner, démêler, comprendre, remarquer ») dont le préfixe intĕr (« entre, parmi ») et le radical lĕgō (« ramasser, recueillir, choisir »), ou ligare (« lier ») donnent le sens étymologique de « lier les éléments entre eux », ou « choisir entre, ramasser parmi (un ensemble) ». Intellect (sct. buddhi, tib. lo) est formé sur le supin de intellĕgĕre, donnant une forme nominale.
[2] La vue juste (sct. samyak-dristi) est le premier membre du sentier octuple qui mène à la cessation de la soif (sct. nirvana).
[3] La résolution juste (sct. samyak-samkalpa) est le deuxième membre du sentier octuple qui avec la vue juste constitue la sagesse. Vue juste et résolution juste permettent l’accumulation de sagesse.
[4] C’est-à-dire « disposant d’objet » (tib. yul tchèn, ཡུལ་ཅན།).
[5] Dans l’échange avec Métripa, Saraha lui répond en exprimant cette évidence :
« Le Mahāmudrā est un nom que l'on donne au fait que tous les phénomènes se manifestant depuis l'origine sont au fond ce qu'ils sont. ». De même, ici, on peut dire que l’apparence a pour nature d’apparaître et sont vides de nos imputations.
[6] 1) S’en remettre au sens des mots et non pas aux mots seuls. 2) S’en remettre à l’enseignement proposé et non pas à l’enseignant seul. 3) S’en remettre à l’expérience. 4) À toute expérience, s’en remettre à la sagesse primordiale.
[7]
Renoncement Skt. niḥsaraṇa
/ niryāṇa tib. ngé
djoung. L’usuelle
traduction française "renoncement" ne rend pas réellement compte du
sanskrit original ni de sa traduction tibétaine. En effet, le sanskrit évoque une
porte, une issue, une sortie alors que le tibétain, quant à lui, évoque "l’occurrence
d’une certitude". Cette certitude porte, d’une part, sur la nature insatisfaisante
du samsara et, d’autre part, sur la libération comme fruit de la voie. Il s’agit
donc non seulement d’être convaincu de la nature défectueuse du cycle des existences
mais aussi d’acquérir la certitude que la voie du Bouddha permet véritablement
d’atteindre la délivrance. Cf. Dictionnaire du bouddhisme français/tibétain de
Jean François Buliard, Éd. Yogi Ling.
[8] Sangha en tibétain se dit « guéndun » qui veut dire « aspirant (dun) à la vertu (gué) », sous entendu en connaissance de causes et d’effets.
[9] Ici, par "bienfaisance" je réunis "empathie" (sct. karunya) et capacité (sct. sakti) au sens où le regard de l'empathie engendre une capacité bienfaisante.
[10] Le trajet (sct.nadi) par la droite.
[11] Le chemin de la méditation et de l’accumulation de sagesse, nous amène à faire des expériences. Toutes les expériences, celles qui nous semblent anecdotiques ou bien spectaculaires, toutes sont significatives et il est conseillé d’en parler à son instructeur. Avec son aide, nous pourrons affiner la vue de sorte que l’expérience aboutisse à une réalisation de la nature ultime des phénomènes et de l’esprit.
[12] Le tibétain « meun lam » est malheureusement traduit pas souhait et nous donne l’impression qu’il s’agit de dresser une liste de souhaits dans une prière adressée à des Bouddhas comme on écrirait une lettre au Père Noël.
[13] Le trajet (sct.nadi) par la gauche.
[14] Certains commentateurs
font une distinction entre bodhicitta et hṛdayabodhi. S’il faut faire une distinction, je suis
d’avis de parler de bodhicitta tout le temps où se développent compréhensions
et expériences et que s’affine une approche de l’Éveil. Ce qui peut
correspondre aux trois premiers des cinq chemins de l’Éveil (accumulation,
jonction et vision). Sur la fin du chemin de la vision et tout le long du
chemin de l’intégration, je serais tenté de parler de hṛdayabodhi, cœur de bodhi
[15] Je n’ai pas trouvé dans quel texte on trouve cette citation.
[16] Effiscience : Néologisme de Lama Shérab signifiant “science des effets” pour traduire le sanscrit “upāya”, fruit spécifique de l’Éveil complet (sct. Samyaksaṃbouddha), au service des êtres. Cet “upāya” du fruit renvoie à l’activité (sct. karma, tib trin lés) des cinq Intelligences inhérentes à la nature de la gnose primordiale (tib. yéshé). Il y a d’autre part, dans le véhicule causal des paramitas (sct. paramitayana), le “upāya” du chemin (habileté aux moyens) qui, à l’appui de la Prajna (tib. shérab), permet de combiner discernement et méthode pour actualiser la gnose primordiale.